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Titel
En voyage pour Monseigneur. Ambassadeurs, officiers et messagers à la cour de Savoie (XIVe-XVe siècles)


Autor(en)
Pibiri, Eva
Reihe
Mémoires et Documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande, 4e série
Erschienen
Lausanne 2011: Société d’histoire de la Suisse romande
Anzahl Seiten
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Gilbert Coutaz

Dirigée par le professeur Agostino Paravicini Bagliani, la thèse d’Eva Pibiri s’impose par son ampleur. C’est parmi les plus volumineuses thèses de doctorat qui ont été défendues à l’Université de Lausanne, en sciences humaines, plus particulièrement en histoire. Cela se vérifie par le nombre de pages, la quantité de cartes (30), de tableaux (17), de graphiques (12), ainsi que par le soin de l’index des noms de lieux et de personnes (il occupe à lui tout seul 43 pages). Que dire de la bibliographie (51 pages), du nombre d’édition de sources (31) et l’état des sources manuscrites (11)? La force de la thèse ressort également de la densité des documents sollicités, cités au besoin plusieurs fois selon les contextes et longuement commentés. À défaut de textes normatifs et d’ordonnances traitant de l’organisation des déplacements, l’auteure a dû recourir aux sources comptables, en particulier à la série exceptionnelle de la Trésorerie générale de Savoie, conservée aux Archives d’État de Turin, sans discontinuité, entre 1377 à 1466. Les dépôts d’archives de Chambéry, Paris, Genève, Dijon et Aoste sont les autres adresses consultées.

Le plan du livre recoupe celui des recherches. Unité de temps: un siècle autour des règnes du duc Amédée VIII (1391-1440) et de son fils Louis (1440-1465), unité de lieu, celui de la cour de Savoie, unité thématique: des hommes chargés de présenter et de défendre la cause du prince. L’auteure choisit des approches apparentées pour présenter chaque catégorie des agents du prince: ambassadeurs, messagers et chevaucheurs d’hôtel. Ce que les travaux, dont ceux de l’auteure, abordaient jusqu’alors de manière ponctuelle ou sous forme d’études de cas, est traité ici systématiquement, dans l’ensemble de ses aspects. Des champs d’étude entiers comme celui des messagers de la cour de Savoie ou l’examen du règne de Louis, sont investis complètement pour la première fois, échappant à l’appréciation d’articles fragmentaires et de points de vue isolés. L’auteure puise dans les études des cours européennes des points de comparaison et d’inspiration.

On ne parle alors pas d’ambassades permanentes, chaque négociation est tributaire d’un voyage, les hommes vont là où les intérêts du prince sont en jeu, doivent être défendus et affirmés. Le duc ne se déplace qu’occasionnellement, pour marquer de son autorité ses interlocuteurs ou ses détracteurs. L’urgence de la situation nécessite que la circulation de l’information soit colportée et relayée, il faut alors des messagers et des chevaucheurs de l’hôtel, «les seuls voyageurs de métier», qui sillonnent le duché, seuls, à pied ou à cheval. La centralisation du pouvoir exige que le duc soit complètement, correctement et immédiatement informé de ce qui se passe dans son duché, qu’il puisse agir et réagir sur la foi des informations qui lui parviennent. Elle suppose un réseau efficace de correspondants et un service de messagerie «performant, régulier et rapide» (p. 227). Les logiques des circonstances justifient des recours humains différents et des moyens financiers changeants. Les distances sont grandes à l’intérieur du duché qui s’augmente encore en 1418 des terres piémontaises d’Achaïe, situé de part et d’autre des Alpes, de la Bresse à la Lombardie, et des confins du canton de Berne aux rives de la Méditerranée. La transmission des ordres assure le bon fonctionnement de l’État, le «foisonnement» des ambassades et des messagers assure la continuité du pouvoir. Le voyage se combine avec la diplomatie, l’organisation administrative se double de fonctionnaires et d’acteurs sur le terrain, les moyens diplomatiques ne peuvent pas s’entendre sans de gros moyens financiers, des routes sûres, des lieux d’accueil définis et un réseau d’auberges, ainsi qu’une économie saine. La thèse scrute chacune de ses composantes, en décortique les mécanismes, en fait ressortir les étapes (ainsi, les ambassades avant audience, les activités de résidence, le retour des ambassadeurs). Elle complète le tableau général, en présentant comment les ambassadeurs étrangers sont accueillis à la Cour de Savoie. Le protocole est précis, il considère les aspects vestimentaires, l’équipement général, les montures, l’utilité des repas offerts, les dons en argent et en nature, le recours aux ménestrels et musiciens, la célébration du service divin qui donne lieu à la remise de sommes aux religieux. Sporadiquement, la légation s’adonne au «tourisme», durant sa mission, dont les formes sont variables selon la composition de l’ambassade ou la personnalité de l’ambassadeur.

L’importance de l’ambassade ressort du rang social de la personne qui la conduit, du nombre d’accompagnants, de chevaux attribués et de jours planifiés. Des problématiques communes permettent des comparaisons entre les intervenants: terminologie, recrutement, chemins, itinéraires, vitesse de marche, aspects pratiques et matériels du voyage. Les ambassadeurs font partie de la cour du prince, s’identifient au seigneur. La volonté de maîtriser les coûts impose une organisation stricte et codifiée des préparatifs des voyages, des audiences, des activités de résidence et du retour de voyages. L’administration contraignante s’exerce à tous les niveaux, elle fixe les modalités pratiques, organise le déroulement sur place, précise les dons et les aumônes durant le séjour. La pratique ressort de l’examen méticuleux de la comptabilité qui révèle entre autres des étrennes et gratifications, des factures, du retard dans les rémunérations, la tarification journalière, la déduction de jours de missions. Après avoir répondu à l’attente de leurs destinataires, les rapports des ambassades étaient destinés aux Archives de l’État pour constituer les archives diplomatiques organisées autour du nom du seigneur concerné, selon une hiérarchie «bien définie».

L’auteure s’emploie à scruter et à débusquer toutes les pistes documentaires, à les additionner et à les comparer. Certes, l’étude privilégie durant de nombreuses pages la description documentaire, accumule les faits, les détails, prend systématiquement tout ce qui se rapporte au service du prince, choisit d’illustrer le chapitre «Les ambassadeurs et leurs ambassades» par trois exemples richement docu zentés: Ferrare, 1428, Vienne, 1440, Écosse, 1444. Mais, au terme de l’examen, elle peut décliner un certain nombre de résultats probants et novateurs, qui soulignent les originalités, les atouts, mais aussi les dysfonctionnements de l’organisation de l’administration savoyarde, en regard des autres cours européennes: poids économique des services du prince, très lourd sur les finances du prince, souci permanent de contrôler les coûts. En centrant son propos sur deux règnes qui se succèdent, l’auteure fait ressortir leurs divergences. Au règne «plantureux» d’Amédée VIII succède celui de Louis, «calamiteux». La sécurité des routes n’est plus garantie sous le second, le personnel au service du prince ne cesse de se renouveler, il se caractérise par son instabilité, ses malversations et son manque d’efficacité. Louis est amené à déduire de nombreux jours de missions, devant les réalités économiques très défavorables.

À la croisée de plusieurs histoires, celle du voyage, de la diplomatie et de l’administration, la thèse concilie et réconcilie ces trois termes, et elle les met en perspective. Elle livre un tableau exemplaire du fonctionnement d’un état souverain, parmi les plus modernes et les plus respectés du XVe siècle européen. Elle détaille les routes suivies pour l’Allemagne, la France et l’Italie, l’utilisation des cols, de bateaux et des chemins de traverse, au besoin le recours à des gens locaux, donne des chiffres précis sur la vitesse de marche des ambassadeurs, dans une période où la mobilité et la rapidité participent du succès de la négociation, la sécurité des routes empêche les vols et la capture des agents du pouvoir. En consacrant de nombreuses pages au duc Louis, l’étude éclaire un règne difficile, peu connu.

La thèse d’Eva Pibiri fait assurément date. Elle servira de cadre incontournable à toute étude sur le duché de Savoie au XVe siècle, et constitue désormais une invitation à des études similaires, en leur livrant méthodologieet résultats.

Citation:
Gilbert Coutaz: Compte rendu de: Eva PIBIRI, En voyage pour Monseigneur. Ambassadeurs, officiers et messagers à la cour de Savoie (XIVe-XVe siècles), Lausanne: Société d’histoire de la Suisse romande, 2011. Première publication dans: Revue historique vaudoise, tome 120, 2012, p. 424-426.

Redaktion
Veröffentlicht am
05.12.2013
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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